« 70% des personnes handicapées vivent dans les zones rurales »
A la tête de la Direction de la promotion des personnes handicapées (Dpph) depuis dix ans, Koné Victorien est non voyant. Il explique dans cette interview que les personnes handicapées peuvent se prendre en charge si elles possèdent les moyens adéquats.
Ce samedi était la journée internationale des personnes handicapées. Peut-on avoir le nombre de personnes qui sont dans une situation de handicap en Côte d’Ivoire ?
Au dernier recensement de l’habitat et la population en 2014, on a pu dénombrer 463. 453 personnes handicapées en Côte d’Ivoire.
Quelles sont les actions que votre Direction pose pour le bien-être de ces personnes?
Dans notre Direction, les aides vont dans trois directions. La première, c’est la direction de la protection et de la promotion des droits des personnes handicapées. Nous veillons à ce que tous les accords ratifiés par la Côte d’Ivoire soient appliqués. Et que la Côte d’Ivoire ratifie les accords sur leurs droits. La dernière convention en date, qui a été signée, c’est celle de l’ONU. Et tous les textes de lois relatifs à son application sont en élaboration, dans les directions centrales de la promotion des personnes handicapées. En ce qui concerne la promotion des droits, nous faisons en sorte que les lois internes soient aussi prises en compte, que ce soit dans le domaine de l’éducation ou de la santé. Donc tout ce qui concerne cela, doit être préparé au niveau de la direction pour préserver l’intégrité des personnes handicapées. Le deuxième axe, c’est l’accompagnement à éducation, il s’agit de la prise en charge, à travers les institutions spécialisées, des personnes handicapées. Nous avons deux établissements publics pour aveugles et pour les sourds. Et nous avons une trentaine d’établissement privés qui sont des initiatives d’associations, des Ong, des groupements de parents de handicapés, qui permettent de prendre en charge ces enfants. L’Etat les accompagne en termes de subventions qui se déclinent en affectation de ressources humaines et de personnes qualifiées. Et l’Etat leur donne aussi quelques subventions en numéraires pour leur permettre de prendre en charge ces enfants, parce que leur prise en charge coûte très cher. Cela fait, en moyenne, 100.000 Fcfa par enfant et par mois. C’est pourquoi l’Etat se charge de les accompagner à travers les accords de partenariat. Nous avons l’aide technique qui est d’apporter le matériel orthopédique spécialisé aux personnes en situation de handicap, tout ce qui est nécessaire à la mobilité des personnes en situation de handicap. Cela peut être des cannes blanches, des fauteuils roulants. Il y a aussi les questions d’orientation des structures plus adaptées. Notre rôle est de servir de passerelle avec ces structures qualifiées. Nous avons le troisième axe qui concerne la formation et la réinsertion qui est très importante. Il s’agit d’un renforcement de capacité du personnel de terrain. On a donc des renforcements de capacités au niveau des enseignants des écoles de sourds en langue des signes. Il y a aussi des spécialistes qui sont chargés de s’occuper des enfants handicapés visuels. Comme toutes les langues vivantes, le langage des signes est vivant et il évolue. Il faut qu’il puisse s’adapter aux concepts nouveaux. Au-delà des enseignants, il faut adapter les parents des enfants handicapés afin qu’ils puissent communiquer correctement avec leurs enfants. Nous avons au niveau de la formation, la réinsertion. Il s’agit des personnes qui sont en bonne santé et qui se retrouvent handicapées un jour suite à un accident, une maladie ou sous l’effet de la vieillesse.
Ces personnes qui se retrouvent handicapées après un accident, bénéficient-elles d’un suivi particulier ?
Il faut les aider à faire face à leur nouveau statut. Il faut les accompagner dans nos structures, pour leur permettre de s’adapter à leur nouvelle situation. C’est pourquoi au niveau de l’école des aveugles, nous avons un module appelé module 1. il concerne les personnes qui ont perdu leur vue. Et en six mois, elles apprennent à lire le braille, à s’orienter et au terme de ces six mois, elles peuvent utiliser la canne blanche et circuler toutes seules. Il y a aussi le volet important de la réinsertion qui est l’emploi. Nous développons des projets avec l’Agence Emploi-jeunes. Là également, il y a deux volets. Celui de la formation et du placement des diplômés, tant dans les entreprises privées que publiques. Le deuxième, c’est celui de l’auto emploi. Des personnes handicapées envoient leurs projets, et l’Agence Emploi-jeune qui les étudie et leur permet de s’établir éventuellement à leur propre compte. Il y a aussi l’Agefop qui développe des projets. Nous travaillons étroitement. Il y a aussi une compagnie de téléphonie mobile avec qui nous sommes très avancés. Il y a aussi le volet du recrutement dérogatoire à la Fonction publique. Mais, nous voulons travailler à renverser la tendance, parce que le Gouvernement ne va pas recruter à l’infini de façon dérogatoire les personnes handicapées. La Fonction publique n’a pas la possibilité de recruter tous les Ivoiriens. Il y aussi un aspect très important, lié à la protection des personnes en situation de handicap. A savoir les protéger contre les abus, les exploitations. C’est un volet qui est important car il est assez délicat, mais nous intervenons quand-même pour faire en sorte que tous ceux qui se rendent coupables d’abus sur les personnes handicapées soient sévèrement punies.
Quels sont les abus dont elles sont victimes ?
Ce que je peux dire, c’est qu’actuellement nous avons des cas devant les tribunaux. L’abus dont les personnes jugées se sont rendus coupables, est l’atteinte à l’intégrité physique des handicapés, cela peut être aussi sexuel. Parce qu’il y a des gens encore qui pensent que coucher avec des petites albinos rend riche. Nous veillons à ce que ce genre de personnes soient mises en prison pour bien réfléchir à leur condition d’être humain. Nous veillons à ce que cela soit respecter, car face à ces cas j’applique la tolérance zéro, surtout quand il s’agit de mineurs handicapés qui sont abusés. C’est l’occasion de vous dire que nous avons un numéro vert, qui est gratuit : Allô handicap 142. C’est sur ce numéro que nous recevons les appels de détresse, même quand ils sont anonymes, cela ne cause pas de problème. Il faut juste appeler, signaler le problème et dire où cela se passe pour que nous puissions intervenir rapidement.
Les mendiants sont un pourcentage élevé des personnes handicapées. Est-ce que vous avez pensé à recycler ces personnes, afin de les aider à quitter les rues ?
Le problème de la mendicité est lié à un problème de pauvreté en général. C’est vrai qu’on y trouve des handicapés, mais il y aussi de nombreuses personnes qui ne le sont pas. Cela est dû au regard qu’on a eu sur eux depuis la petite enfance. Cela dépend aussi des préjugés qu’on a sur un handicapé, c’est quelqu’un qui est vu comme une personne qui ne peut rien faire. S’il veut manger, il faut qu’il participe en emmenant quelque chose le soir à la maison. Pour ce faire, il est souvent obligé de mendier. Ce sont des choses qu’il faut bannir par l’éducation et par la formation. C’est pour cela que le ministre nous a instruits de mettre en place un programme d’aide à l’emploi des personnes en situation de handicap. Et ce programme a débuté. Mais nous voulons insister sur un fait qui est le fait que cette action soit déconcentrée et même décentralisée pour être plus efficace. C’est pourquoi, lors de la célébration de la journée internationale, nous avons voulu qu’il y a ait un thème national à côté du thème international. Pour emboiter le pas, à la Constitution de la troisième République qui dans son article 32 préconise la protection des personnes en situation de handicap ; de bannir toutes les formes de discriminations et surtout précise que l’Etat et les collectivités publiques s’engagent. A partir du moment où s’est inscrit dans la Constitution, nous pensons que c’est fondu dans du marbre. Nous avons choisi pour cela le thème national : « L’Etat et les collectivités publiques s’engagent ». C’est très important pour nous. Et lors des tournées que nous eues dans le cadre de cette journée, nous avons bien expliqué aux préfets, aux différents responsables municipaux, d’intégrer la question du handicap dans les plans qu’ils élaborent dans leurs communes, dans leurs régions. Donc les personnes en situation de handicap font partie de leurs administrés.
Que faites-vous pour les handicapés vivant à l’intérieur du pays surtout que l’on sait que les l’institut des aveugles et l’école des sourds sont situés à Abidjan ?
Nous avons aujourd’hui 203 associations de personnes handicapées et 48 organisations non gouvernementales qui s’occupent des personnes handicapées. Et 70% des personnes handicapées vivent dans les zones rurales qui n’ont pas accès aux deux écoles dont je vous ai parlé tantôt. Nous avons donc demandé au centre régional de protection sociale avec qui nous travaillons, de gérer ces questions sur place avec les directives que nous leur avons données. Ce sont ces directions régionales qui sont chargées d’appliquer sur le terrain, les politiques de réinsertion des personnes en situation de handicap. En ce qui concerne l’emploi, nous avons la politique de décentralisation de l’aide à l’emploi. Nous avons transféré la direction régionale de protection sociale qui doit travailler avec les collectivités publiques existantes, c’est-à-dire le conseil régional, le conseil municipal et la plateforme de service qui ont été élaborés par le gouvernement et qui comprend tous les services qu’on peut trouver dans un département, une collectivité. Nous mettons en avant l’approche du développement local, qui implique les ressources locales, la plateforme de service. Nous avons le programme de décentralisation de l’éducation. Nous essayons de satisfaire ceux qui viennent de l’intérieur du pays ainsi que ceux d’Abidjan et ils font même partie des 300 recrutés.
Napargalé Marie
Légende : Koné Victorien révèle que sa structure fait beaucoup pour les personnes handicapées. Photo : DR