La liberté de la presse est un pilier essentiel de toute démocratie. Elle garantit aux citoyens l’accès à une information libre, pluraliste et indépendante. Pourtant, en Côte d’Ivoire, cette liberté fondamentale est mise à rude épreuve, non pas seulement par des entraves politiques visibles, mais surtout par une réalité plus insidieuse : la précarité dans laquelle vivent et travaillent la majorité des journalistes, en particulier ceux des régions. Matériel insuffisant, retards de paiement, absence de protection sociale, pressions politiques… autant de défis qui fragilisent leur indépendance et menacent la qualité de l’information.

Alors que le monde célèbre la Journée mondiale de la liberté de la presse ce 03 Mai 2025, il est urgent de braquer les projecteurs sur ces conditions difficiles et d’appeler à une mobilisation collective pour défendre la dignité et la sécurité des journalistes dans leur ensemble et les ivoiriens en particulier.

Un métier en souffrance : précarité matérielle et financière

En régions , les journalistes exercent souvent dans des conditions très difficiles. Le manque d’équipements de base – caméras, ordinateurs, connexion internet fiable, handicape leur travail et limite leur capacité à couvrir l’actualité avec rigueur et rapidité. Selon une étude récente de l’Observatoire de la liberté de la presse en Afrique de l’Ouest (OLPAO), près de deux tiers des journalistes régionaux ne disposent pas du matériel nécessaire pour accomplir pleinement leurs missions.

Mais c’est surtout la rémunération qui pose problème. De nombreux journalistes travaillent plusieurs mois sans percevoir de salaire fixe. Les piges, censées compléter leurs revenus, sont versées avec d’importants retards, voire sous forme de sommes dérisoires. Cette situation oblige beaucoup d’entre eux à cumuler plusieurs emplois, parfois en dehors du journalisme, pour subvenir aux besoins de leurs familles. Cette précarité compromet leur indépendance professionnelle et affaiblit la qualité de l’information, pourtant vitale pour la société.

Pressions politiques et absence de protection

La vulnérabilité financière des journalistes les expose à des pressions politiques insidieuses. Dans plusieurs régions, ils deviennent involontairement des relais de communication pour les autorités locales, qui peinent même à leur apporter un appui financier en cas de besoin. Le soutien informel que promettent des autorités impacte souvent la ligne éditoriale et limite la liberté de ton et la crédibilité des journalistes. Comme le souligne Koné .S, correspondant d’un quotidien dans la région du Tchologo : « Nous sommes souvent contraints de devenir des amis des autorités locales dans l’optique qu’elles nous aident par moment . Ça biaise nos écrits et les règles en matière journalistiques sont foulées aux pieds. Nous le savons mais nous n’avons pas le choix faute de moyens pour subvenir aux besoins de nos familles ».

Par ailleurs, ces professionnels ne bénéficient d’aucune couverture sociale ni assurance santé. En cas de maladie, d’accident ou d’agression, ils doivent assumer seuls les coûts et les conséquences, ce qui est d’autant plus préoccupant dans un métier où les risques sont réels, notamment pour ceux qui enquêtent sur des sujets sensibles ou travaillent dans des zones à tensions. L’Union des journalistes de Bouaké (UJB) dénonce cet abandon et réclame la mise en place d’un régime de sécurité sociale adapté à leurs besoins.

<< Les journalistes dans nos régions travaillent dans des conditions très difficiles. Ces localiers parcourent le terrain au prix de leur vie sans moyens. Mais leur passion reste inébranlable. Je voudrais donc plaider auprès des patrons de presse et l’Etat de Côte d’Ivoire en vue de l’amélioration leur conditions de travail et de vie. Il leur faut une sécurité sociale et financière >>, a plaidé Soro Korona, président de l’UJB .

Garantir des conditions dignes pour préserver la démocratie

À l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, il est plus que jamais nécessaire que les employeurs et l’État ivoirien assument pleinement leurs responsabilités. Les patrons de presse doivent s’engager à respecter leurs obligations financières, fournir un matériel adéquat et assurer la sécurité physique et morale de leurs collaborateurs. De son côté, l’État doit veiller au respect des normes internationales, protéger les journalistes contre les menaces et violences, et instaurer un cadre social protecteur.

La liberté de la presse ne peut être une réalité sans des conditions de travail dignes et une indépendance garantie. Protéger les journalistes, c’est défendre la démocratie et le droit fondamental des citoyens à une information libre, pluraliste et de qualité. Il est temps d’entendre le cri des journalistes ivoiriens et d’agir pour que la liberté d’expression ne soit pas un simple slogan, mais une réalité vécue sur tout le territoire national.

François M’BRA II

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