Prospères malgré le rejet de la société

Leur handicap les fait paraître ’’différents’’ aux yeux des autres. Lésés quotidiennement dans la vie, les personnes handicapées doivent faire fi de tout ceci et se battre, avancer et produire plus de résultats que les personnes dites normales. Des handicapés l’ont si bien compris qu’ils se sont mis à la tâche. Aujourd’hui, beaucoup n’ont rien à envier à ceux qu’on appelle couramment les personnes normales. Ils sont devenus prospères et bien dans la peau, à force de courage et de persévérance. 

Au regard des autres, c’est un handicapé. Mais, pour Dali Gogo, il est un être comme les autres. Propriétaire de plusieurs cliniques, il aurait pu, après avoir perdu la vue, il y a de cela quelques années, sombré dans le désespoir. Que nenni ! Il est aujourd’hui un homme d’affaires prospère. Ce spécialiste du massage dirige avec fermeté ses entreprises. C’est aussi avec aisance qu’il se déplace dans son établissement et échange avec ses patients qu’il ne voit pourtant pas, mais qu’il reconnait par la voix. ’’Le regard des autres’’ qu’il ne voit pas mais qu’il arrive à détecter dans leur attitude, ne l’affecte nullement. « Lorsque j’ai perdu la vue, j’ai en vain cherché à faire de la vacation dans les cliniques médicales de la place. On m’a rit au nez tout en me demandant si je n’avais pas perdu la tête en voulant ce poste. Mais, le côté positif de cette mise à l’écart, c’est la détermination à aller de l’avant et de réussir coûte que coûte dans ce métier. Et cela a payé, puisque je suis aujourd’hui propriétaire de trois cliniques », raconte Dali Gogo. Cette détermination a également servi à Konaté Zana qui, de sa fonction d’instituteur adjoint, est passé à celui de conseiller pédagogique. Mais, il ne s’est pas contenté de ce poste et il a été pendant trois ans, le président de la Confédération des organisations des personnes handicapées de Côte d’Ivoire. Ce conseiller pédagogique en a vu des vertes et des pas mûres. D’abord instituteur adjoint en 1977 à Nogotaha à Korhogo, il commence à ressentir des céphalées et à avoir des problèmes de vue en 1979. Orienté aux grandes endémies, les médecins ne détectent aucune pathologie et le maintiennent en service. Après deux ans de service, son état se dégrade et Konaté Zana est quand même affecté à Bouaké où il perd totalement la vue en 1991. « Mon inspecteur a trouvé ma requête de venir à Abidjan fantaisiste car les médecins n’ont trouvé aucune pathologie. En novembre 1994, j’intègre l’Institut national ivoirien pour la promotion des aveugles (Inipa) où je fais une réadaptation à l’écriture braille de 1994 à 1995. J’ai repris service en 1996 sous la tutelle du ministère des Affaires sociales et de la Solidarité avant de devenir conseiller pédagogique en 2007. Mais, j’étais devenu entre temps instituteur ordinaire», fait-il savoir. Il explique qu’il a failli mourir de dépression mais avec le soutien de sa famille et de ses amis d’enfance, il a pu se ressaisir et devenir aujourd’hui un fonctionnaire respecté par ses pairs.

 

Malgré leur handicap…

Si Konaté Zana peut vivre de son travail et jouir du respect des autres, ce n’est pas le cas de Douffi Henri Michel, malentendant. Comme tous les malentendants et sourds-muets, il s’exprime à l’aide du langage des signes mais fait particulier, en plus des signes, son langage est aussi parfaitement audible car cet homme âgé de 40 ans, titulaire d’une maitrise en Anglais, n’est pas né sourd. C’est à l’âge de 16 ans en classe de troisième, qu’il commence à ressentir des vertiges et à entendre des bruits dans les oreilles. Il tombe gravement malade et ses parents le conduisent au Centre hospitalier et universitaire (Chu) de Cocody et ensuite au Chu de Yopougon, où après divers examens, les médecins diagnostiquent une surdité. «J’ai pleuré à chaudes larmes car j’étais très brillant à l’école. Heureusement, quand je me suis rétabli et que j’ai repris le chemin de l’école, mes amis entendants se sont adaptés à ma nouvelle situation et m’ont beaucoup aidé », explique-il. Grâce à cette réintégration facile à l’école, il décroche son Bepc et ensuite son Bac avec la mention passable. Douffi Henri Michel s’oriente ensuite vers la Faculté d’Anglais à l’Université de Cocody. Des années universitaires qui lui sont restées en travers de la gorge car son handicap le mettait à mal lors des compositions. « C’était très difficile car il fallait écouter une cassette et traduire ce que l’on avait entendu. Les professeurs n’ont pas voulu trouver de compromis. Au contraire, ils me demandaient de me débrouiller. J’ai donc échoué à la première session», se souvient Douffi Michel. Mais, à force d’abnégation, il arrive à obtenir la Licence d’Anglais. Un diplôme qu’il ne peut exploiter à cause de son handicap. Il poursuit : «J’ai exercé une fois en tant qu’enseignant d’Anglais dans une école privée à Abobo-Baoulé. C’était un essai et le contrat n’a pas été renouvelé. Les élèves eux, étaient très ouverts et je leur ai expliqué que je n’entendais pas mais que je m’exprimais très bien en Anglais. Ils écrivaient donc leurs préoccupations au tableau et moi j’y répondais. C’était une belle expérience qui a été gâchée lors des épreuves orales d’Anglais. Lorsque je me suis rendu dans l’établissement où je devais exercer, la directrice n’a pas manqué d’exprimer son mépris envers ma personne. J’ai même voulu faire le concours de l’Ecole de police, j’ai réussi à passer le premier tour mais à l’oral, l’on m’a ri au nez et fait comprendre qu’il n’y avait pas de place pour moi », déplore-t-il. Depuis, Michel a revu ses ambitions à la baisse et attend d’avoir une aide financière pour réaliser ses projets. Dohouin Franck Alain, lui, a décidé de prendre le dessus sur la vie qui ne lui a pas fait de cadeau. Titulaire d’un Bepc, il s’est lancé dans la cordonnerie, faute de mieux. Une activité qui, si elle n’est pas très rentable, lui permet de subvenir aux besoins de sa petite famille composée de sa petite amie sourde-muette et sa fille de trois ans. C’est à l’âge de 12 ans que Franck, tombé gravement malade, perd l’usage de l’ouïe. Malheureusement, n’entendant plus, il perd également l’usage de la parole. «Je suis entré à l’école des sourds où j’ai fait le primaire et je suis allé ensuite au collège jusqu’à la classe de terminale. Lorsque les personnes entendantes se rendent compte que je sais lire et écrire, leur pitié à mon égard se transforme en étonnement et respect », révèle-t-il. Mais le jeune homme de 26 ans a pu faire face également aux aléas de la vie grâce à l’affection et aux soins de sa famille dont ses sœurs qui n’ont pas hésité à apprendre le langage des signes afin de pouvoir communiquer avec lui. Un soutien sans faille qui lui permet de se sentir une personne comme les autres. Même s’il partage cet optimisme, Ouattara Dabla, handicapé moteur depuis 2002, avoue qu’il est soumis quotidiennement au regard des autres. «Je suis fonctionnaire, attaché administratif au Trésor de Yopougon. Plusieurs fois, des femmes m’ont approché et elles m’ont tendu des pièces de 25Fcfa parce qu’elles pensaient bien faire en me faisant la charité. Elles se disent que je ne peux pas avoir de l’argent par mes propres moyens. Dans les tâches qui sont reparties au niveau de l’administration, les autres pensent qu’on n’est pas à même de remplir nos tâches à cause de nos incapacités physiques. C’est un regard frustrant, blessant et qui peut amener à douter de ses propres capacités. On ne nous juge pas en fonction de ce que nous pouvons apporter à la société mais plutôt en fonction de nos incapacités. On se dit que vous avez un problème de pied vous ne pouvez pas travailler comme les autres. Ce n’est pas de la méchanceté mais d’une compassion maladroite », déplore Ouattara Dabla. Ce secrétaire exécutif de la Confédération des personnes handicapées de Côte d’Ivoire explique que c’est le soutien de sa famille qui lui a permis de ne pas sombrer dans le désespoir en 2002, lorsqu’il devient handicapé au niveau de ses membres inférieurs. «Je jouais au Basket, je pratiquais les arts martiaux. Mes parents m’ont permis de ne pas avoir peur de la vie. Des personnes ont même voulu décourager mes parents. J’étais en première année d’Espagnol lorsque cela est arrivé mais j’ai décroché ma maîtrise en Espagnol. En dépit des diplômes, chaque fois qu’on passait des concours, on était rattrapé par le regard des autres. Si tu veux devenir professeur, on te rappelle tes incapacités physiques. Aucune personne handicapée n’est exempt de ce jugement. Nous expérimentons et nous continuons d’expérimenter cela. On pense même que les femmes handicapées ne peuvent pas procréer ou dans le cas contraire, on a peur car on se dit que si elle fait un enfant, l’enfant viendra handicapé. Le premier remède du handicap est la vie en association, qui permet de comprendre que d’autres personnes vivent la même chose et ont gravi des échelons. Les gens ont tellement de préjugés que la personne handicapée se retrouve isolée », déplore le secrétaire exécutif.

 …Ils ne s’en laissent pas conter

 Les personnes handicapées se considèrent et sont des personnes comme les autres. Elles ont besoin plus que jamais du soutien de leurs amis et de leurs parents. Silué Minata est mère d’un enfant sourd. Bien qu’elle reconnaisse que c’est difficile au quotidien, elle avoue mettre tout en œuvre pour le bien-être de sa progéniture. «Toute la famille est mobilisée autour de lui afin qu’il ne sente pas son handicap. C’est à nous de veiller à son bien-être et ne pas avoir honte de son handicap. C’est un enfant comme les autres qui intégrera l’école des sourds au moment venu, qui ne sera pas complexé par son handicap. Bien souvent, les gens ont tendance à penser qu’une personne avec un handicap n’est bonne qu’à mendier », déplore Silué Minata qui est un membre de l’association nationale des parents des handicapés auditifs de Côte d’Ivoire. Elle veille à son évolution dans un cadre familial adéquat et d’un système éducatif et social adapté. Les personnes albinos ne sont pas mieux loties. Elles doivent faire face également aux préjugés. Rose, une albinos, confie qu’elle est maintenant habituée à ce que l’on crache sur son passage. « Les gens croient que lorsqu’un albinos passe et qu’ils ne crachent pas, leurs enfants seront albinos. C’était vexant au début parce que cela signifiait pour moi que je les dégoûtais, mais j’ai fini par m’y adapter ». Ces difficultés auxquelles les personnes souffrant d’un handicap sont confrontés sont les mêmes dans presque tous les pays africains. «La situation est extrêmement complexe. Il y a de nombreux défis en raison du contexte africain. Manque de ressources, manque d’infrastructures. Dans de nombreux cas, il y a aussi des jeux de pouvoir politique au détriment du développement du pays. Et bien sûr, il y a des facteurs religieux », explique Facundo Chavez Penillas, conseiller en matière de handicap au bureau du Haut Commissaire aux Droits de l’Homme sur le site de la Deutsche Welle. Par ailleurs, la plupart des pays d’Afrique ont introduit des législations pour venir en aide aux personnes handicapées, mais elles ne sont pas appliquées, faute de moyens. Même les projets de développement omettent souvent de prendre en considération les besoins spécifiques liés aux handicaps, malgré l’Article 32 de la Convention internationale des Droits des personnes handicapées. Un article entré en vigueur il y a dix ans, mais qui a entraîné peu de progrès. En Afrique, seuls 10 % des enfants handicapés vont à l’école. Et 80% des adultes handicapés n’ont pas d’emploi. Pour la plupart, cela revient à une vie de pauvreté et de discrimination. En Côte d’Ivoire, le gouvernement vient d’arrêter des mesures en leur faveur dont la reprise de leur recrutement dérogatoire à la Fonction publique qui a permis de recruter 300 personnes, la dotation de leur fédération d’une subvention de 50 millions de FCFA contre 09 millions auparavant, d’un véhicule de fonction et d’un siège.

Napargalé MarieLég 1 : Les personnes handicapées sont soumises quotidiennement aux regards des autres. Photo : DRLég 2 : Les préjugés sur les handicapés ont la peau dure. Photos : DR

 

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